mercredi 28 novembre 2012

N.B. Des Esseintes


Personnage de À rebours (1884), roman avec lequel Huysmans se sépare du mouvement naturaliste pour prendre place auprès des décadents. Le duc Jean Des Esseintes, dont le modèle fut peut-être Robert de Montesquiou, le même qui devint plus tard, chez Proust, monsieur de Charlus, est un héros solitaire. Dernier descendant d'une famille illustre, à la suite d'une jeunesse riche en expériences étonnantes, cet être exceptionnel, dégoûté de la vie mondaine, se retire dans une villa de la banlieue parisienne, à Fontenay, pour s'y créer un monde conforme à ses goûts ; il cultivera dans cette retraite raffinée toutes les sensations susceptibles de lui procurer un plaisir nouveau et subtil.
S'éloignant toujours de la nature, Des Esseintes trouve dans le luxe et dans l'artifice cet effet d'imaginaire, de déliquescence qui rend sens à son existence. Il lit les poètes latins décadents, les mystiques, Baudelaire, Verlaine et Mallarmé : sur ces lectures se fonde un esthétisme de la transposition des sens, la synesthésie. Il pousse ainsi jusqu'à l'hallucination les recherches qu'avait entreprises Baudelaire dans le sonnet des Correspondances. Son « orgue à bouche », « organe des liqueurs », lui permet d'établir une association entre le parfum des liqueurs et les notes de musique : il compose sur sa langue une symphonie qui n'est pas sans évoquer les expériences auxquelles se livreront plus tard les poètes symbolistes avec l'orchestration verbale. Des Esseintes cultive le surnaturel au point de s'émouvoir quand son horticulteur trouve dans la serre, emplie de fleurs monstrueuses, des fleurs naturelles qui peuvent paraître factices mais ne seraient, même alors, qu'imitation sans art, se bornant à singer la nature : en effet, l'artifice sublime est celui qui retrouve la nature, non pas la nature naïve, mais celle, rare, singulière, parfaite, que reconstitue le rêve ou la béatitude. Des Esseintes vit paradoxalement dans une solitude monacale. La quête de Des Esseintes le conduit pourtant de raffinement en raffinement à travers une série d'amours perverses, jusqu'aux cauchemars, à l'hallucination, et enfin presque aux confins de la folie. « Après un tel livre, il ne reste plus à l'auteur qu'à se tirer un coup de revolver ou à se jeter au pied de la Croix », écrivait à propos de À rebours Barbey d'Aurevilly. Huysmans choisit la seconde solution et se convertit peu après. Son livre, dont l'influence fut importante dans l'histoire littéraire de la fin du siècle, garde surtout le mérite d'offrir, avec le portrait de Des Esseintes, un document extrêmement vivant sur toutes les formes d'esthétisme et d'extravagance de la sensibilité décadente.

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